Histoire de Warcraft 3 – Partie 2
Warcraft 3 dans l’esport
Ce dossier est une republication légèrement modifiée (aka un putain de copier/coller) issu de l’original publié par votre serviteur chez Millenium, que vous pouvez retrouver ici. Un grand merci à ces derniers pour nous avoir autorisé la diffusion/adaptation de celui-ci.
SOMMAIRE GÉNÉRAL DU DOSSIER HISTOIRE DE WARCRAFT 3
- Partie 1 – De l’idée au concret
- Partie 2 – Warcraft 3 dans l’esport
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Page 1 – La construction de la scène
- Page 2 – De l’explosion à l’effondrement
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- Partie 3 – Une Histoire à la française – 2002-2008
Loin de n’être qu’un jeu, WarCraft III a également été l’un des pionniers du genre dans le domaine de l’esport, en particulier en Occident. Retour sur plus de 18 ans d’amour entre eux.
En 2002, le seul RTS réellement dominant en termes de compétition est alors StarCraft, particulièrement en Corée du Sud. Des compétitions en ligne, des tournois, de véritables stars d’un nouveau genre, le tout chapeauté par les deux grandes chaines télévisées spécialisées : OnGameNet et MBCGame. En Europe en revanche, StarCraft, sans pour autant sombrer dans le #deadgame, peine à s’imposer en offline et les tournois tournent essentiellement sur Quake III et Counter-Strike.
OGN et MBCGame, les deux chaînes TV principales consacrées à l’esport en Corée à l’époque
Brace yourselves, WarCraft III is coming
À l’arrivée du tout nouveau jeu de stratégie de Blizzard, la Corée du Sud se tient prête à accueillir l’éventuel futur remplaçant (ou tout du moins entité coexistente) de StarCraft, et OnGameNet organise le tout premier tournoi offline connu sur WarCraft III : l’OGN WarCraft III Retail League (parfois qualifié d’OGN StarLeague, ou OSL).
Reconnu pour son talent et sa carrière sur StarCraft, le Français Bertrand « ElkY » Grospellier signe ici une performance incroyable en parvenant à se hisser jusqu’en finale du tournoi, s’inclinant face à un certain Medusa, joueur de l’écurie SAINT. Celui qui semble doué naturellement pour les RTS atteindra le carré final ainsi qu’un top 16 lors des OSL suivantes, mais se retirera malgré tout aussi vite qu’il était arrivé.
Dernière manche du match opposant ElkY à Medusa[SAINT]
Dans une interview, ElkY expliquait dans les mois qui ont suivi son départ que le jeu reposait trop sur « l’aléatoire et la chance », et qu’il ne « s’amusait pas autant que sur Brood War ». Il dira d’ailleurs déjà à cette époque de WarCraft III que « le jeu ne connaîtrait jamais le même succès que Brood War en Corée », de par ces facteurs notamment, mais aussi à cause du « trop grand nombre d’informations à l’écran (sorts, items, etc.) » qui rendent le suivi plus compliqué « pour les personnes de 40 ans par exemple ». Avec le recul, difficile de lui donner tort tant le phénomène n’arrivera jamais à la cheville de StarCraft.
Si ce propos s’avère vrai pour la Corée du Sud, il en sera tout autre dans notre belle contrée européenne, où le genre entamera une véritable dynamique, appuyée par la communauté et ses individualités.
Pour en revenir à ElkY, notons pour les plus nazis dans l’âme d’entre nous qu’il n’a en fait pas vraiment remporté le premier tournoi connu sur WarCraft III. Le fait reste vrai parce qu’il s’agissait de la première compétition connue sur la version finale du jeu (post-release), mais c’est en revanche en partie faux parce que le premier tournoi WarCraft III eut lieu sur la bêta avant la sortie officielle du jeu, et fut remporté par le Britannique Iain « TillerMaN » Girdwood, déjà joueur de WarCraft II et de StarCraft.
TillerMaN avait fait forte impression chez Blizzard et était considéré comme l’un des meilleurs joueurs en 2002 et globalement durant l’ère Reign of Chaos (RoC). Déjà âgé de 26 ans à cette époque, son influence était telle que ses parties étaient prises en exemple par l’équipe de développement pour équilibrer le jeu (c’est en tout cas ce qui se dit). Mais si TillerMaN restera aussi dans la légende, c’est surtout parce qu’il sera à l’origine de la section WarCraft III des Four Kings (4K) – équipe qui sera considérée par beaucoup comme la meilleure au monde – avec Zommy (manager général des 4K), et comprenant pour premiers soldats KaJ, Kiko, Zeus, DIDI8 mais aussi CrazyAssassin avec qui il forma le top 2 de l’équipe.
TillerMaN (à g.) laissera la main à Khaldor (à d.)
À son départ de la scène WarCraft III pour le poker (Khaldor reprendra le flambeau), TillerMaN fera rentrer dans l’équipe deux joueurs, un coup d’essai qui s’avéra être un coup de maître : le Danois Myth et surtout un joueur Hollandais qui commençait sérieusement à effrayer le ladder : Manuel « Grubby » Schenkhuizen.
Grubby, jeune joueur prometteur
Pendant ce temps en Corée du Sud, les OSL et autres MBC League s’enchainent, faisant émerger des joueurs de talents. Ils s’appellent ShowTime, ReiGn, DayFly, Check, EvenStar ou Sweet, ainsi qu’un petit bonhomme du nom de Jang « Moon » Jae Ho qui remporte en 2003 son premier tournoi : la MBC Sonokong Prime League II, le plus gros tournoi coréen.
Du côté des équipes, on retiendra particulièrement les Sonokong FrienZ, WeRRa (équipe qui, pour l’anecdote, disbandera suite à un scandale de harcèlement sexuel), Saint, Pooh, Cherry et Samsung Khan. Malgré la présence de toutes ces structures et joueurs, et comme prophétisé par ElkY, les audiences peineront à réunir autant de spectateurs que sur StarCraft, et déjà l’échec de la percée coréenne se profilait.
Pendant ce temps-là, en Occident
Dans les tournois étrangers, les saints coréens font moins peur que ce qu’il n’y parait, et n’apparaissent ni dans le top 4 de l’ESWC 2003, ni dans celui des WCG. C’est dans ce premier tournoi que « l’incident MaDFroG » eut d’ailleurs lieu. L’Orc (OR) coréen Lee « DayFly » Joong Heon, alors considéré comme le meilleur joueur Orc au monde, eut en effet une drôle de surprise lorsque, alors en train d’achever le joueur Mort-vivant (UD) suédois Fredrik « MaDFroG » Johansson, la partie fut déconnectée quand ce dernier heurta accidentellement avec son pied le câble réseau.
Sans fonction de type « Reprendre la partie » comme il en existe maintenant sur StarCraft II par exemple (mais toujours pas sur Reforged), l’équipe d’admin décida de faire rejouer la carte, et MaDFroG remporta finalement le match 2-1, éliminant l’Orc de la compétition.
2003 est aussi l’année de la première saison de la prestigieuse WarCraft III Champions League (WC3L) organisée par l’ESL, où les meilleures équipes internationales se rencontrent sur une saison afin d’établir un classement. À la fin de la saison, des playoffs sont organisés entre les mieux classés pour déterminer qui sera le champion. Le format est le suivant: trois duels en Bo3, puis deux 2v2 (avant de changer en quatre duels pour un seul 2v2 à partir de la saison VIII). Cette première saison se terminera par la victoire finale des Schroet Kommando (SK) emmenés par SuRviVoR et Insomnia.
Compétition reine parmi les team leagues, la WC3L verra une équipe française nouvellement créée terminer sur la deuxième marche du podium de la saison II : l’armaTeam. L’équipe emmenée par un certain Rémy « Llewellys » Chanson, qui compte alors en son sein Antoine « FaTC » Zadri, Yoan « ToD » Merlo, Lou « Blatty » Gentet, Raphaël « Shore » Benhakoun et Eric « InToX » Dieulangard, se heurtera en finale au grand méchant SK qui voit sa lineup complétée par KaJ (pas encore 4K), MaDFroG et HeMaN. Les aT retrouveront la deuxième place lors des finales de la saison IV un peu plus tard, derrière les Four Kings qui remporteront là leur premier titre, premier d’une série de sept à la suite, les couronnant d’équipe la plus titrée jusqu’à ce jour.
Rétrospective des finales de la saison IV de la WC3L entre armaTeam et 4Kings
La Cyberathlete Professionnal League (CPL) posa ses bagages en mars 2003 à Cannes, elle fut l’une des plus grosses compétitions occidentales de l’année avec la Clikarena et l’ESWC, et vit pour la première fois le sacre d’un Français, le joueur Elfe de la Nuit (NE) InToX, alors joueur chez aT tout comme Blatty et SeGaL qui finiront respectivement 5e et 6e, ainsi que ToD, Shore et OvErMiNd dans le top 16.
L’armaTeam lors de la CPL Cannes 2003
Plus tard, le tout premier ESWC sera organisé et verra la victoire finale d’Alborz « HeMaN » Haidarian, devant son compère chez SK, MaDFroG, ainsi que FaTC puis ToD. C’est aussi la toute première participation de Grubby à un tournoi individuel international.
HeMaN fut avec MaDFroG, Insomnia et DominatoR choisi par Intel pour être envoyé en Corée du Sud. Si ce dernier ne connut pas de franches répercussions sur sa carrière, MaDFroG, Insomnia et HeMaN seront considérés comme quelques-un des meilleurs joueurs européens de l’époque, atteignant un niveau jusqu’alors jamais égalé.
Le joueur UD suédois en particulier intégra la structure Sonokong FrienZ (deuxième et dernier joueur à n’avoir jamais intégré une équipe coréenne, avec ElkY chez Pooh), formant alors le roster le plus impressionnant au monde, des maîtres dans chacune des races : Check (NE), DayFly (OR), Swain (HU) et MaDFroG (UD).
La terreur mort-vivant de l’époque, MaDFroG
Un règne coréen chaotique
La sortie et le passage des compétitions de RoC vers son extension The Frozen Throne (TFT) n’arrêteront pas le déclin du jeu en Corée du Sud. Désormais, les joueurs du Pays du Matin calme s’exportent et arborent les tags des équipes occidentales : aT-FoV, SK.Sweet, MYM]ShowTime notamment furent parmi les premiers. Zdravko « Insomnia » Georgiev remporta lui la toute dernière compétition sous RoC, les World Cyber Games 2003 (les Jeux Olympiques du jeu vidéo), avant que l’année ne se termine.
Avec le passage généralisé de RoC à TFT en compétitions, 2004 sera une année charnière. Tandis que Grubby remporte son premier tournoi international avec les Cyber-X-Games (où il ne verra d’ailleurs jamais la couleur de l’argent qu’il y a gagné), MaDFroG se paye le Blizzard Worldwide Invitational avec la clé la somme record de 25 000$, et le joueur Andrey « Deadman » Sobolev (NE) se révèle aux yeux du monde lors de l’ACON4.
Le Tsar Russe (également connu sous le nom d’apm70) était connu principalement pour trois choses : son passif de maphackeur qui lui a notamment valu une haine sans vergogne de la part de Grubby qui ira jusqu’à créer un alias apm70maphacks sur le ladder, sa première place sur le serveur Europe qui, de fait, sacrait le joueur comme meilleur représentant de sa race hors-Corée, mais aussi son attitude déplorable qui lui a valu bien des misères. Il termina deuxième derrière l’Américain Wizard lors de l’ACON4, sous son nouveau maillot de l’armaTeam, et devant Chun « Sweet » Jung Hee (UD), l’autre brute du ladder (coréen cette fois), le premier à avoir atteint le niveau 50 tout serveur confondu sous son compte Sweet[SAINT], et sacré joueur WarCraft III de l’année.
Sweet, l’un des princes morts-vivants coréens
Si toutes les races ont connu leur Roi, les UD n’ont jamais vraiment pu départager qui de leurs princes méritaient la couronne : Star, Sweet, FoV, GoStop, ReiGn, Lucifer et peut-être Susiria (en particulier en teamleague avec MYM) ont plus ou moins eu un niveau équivalent tout au long de leur carrière.
Moon, Grubby, et les autres
Durant cette période, Spirit_Moon (Moon) commence à être craint par à peu près tous les joueurs et semble imbattable en Corée. Lui qui avait commencé à se faire un nom sur les ligues coréennes dès 2003, proposait des stratégies sorties de nulle part et n’avait pas encore perdu face à un Orc en tournoi télévisé.
Pourtant, lors des grandes finales des WCG 2004, c’est face à un Orc que Moon va devoir s’incliner 2 à 1 en huitièmes de finale, un Orc venu lui aussi tout droit de Corée du Sud, et qui avait participé à la défaite des Four Kings en tournée au pays le mois précédent, en s’imposant sur Zeus. Un Orc qui, s’il n’avait pas connu cet état de forme au moment où Moon et Grubby dominaient le monde, aurait parfaitement eu sa place sur le Trône de WarCraft III. Cet Orc, c’est Zacard.
Zacard, un joueur Orc qui aurait pu tout rafler
D’abord représentant de chez ReX, Tae « Zacard » Min Hwang avait été recruté par SK Gaming et se révèlera faire partie des tous meilleurs représentants Orcs au monde, montrant une qualité de jeu phénoménale, mais ne parvenant jamais à remporter le moindre tournoi international malgré son potentiel indubitable.
Après s’être défait du favori du tournoi, Zacard éliminera ToD (alors chez 4K), mais laissera à Grubby la victoire finale, et la couronne de Roi des Orcs.
L’année 2004 sera donc marquée par la naissance du règne de Moon et de Grubby, et d’une équipe Four Kings sur le toit de l’Europe.
En Corée du Sud, les World e-Sport Games écrivent la première page de leur histoire dans une compétition de très haut niveau, il constitue le premier tournoi international de l’année 2005 et voit des joueurs tels que Zacard, Sky, Deadman, FoV, Moon, ToD, Sweet ou encore Insomnia s’affronter.
ToD lors de son match face à Moon aux WEG 2005
Le tournoi consacrera Moon qui, en plus de ridiculiser ToD en « charmant » une des unités du Français pour créer sa propre armée Humaine, prendra sa revanche sur Zacard en grande finale grâce aux Druides-Corbeaux, stratégie rendue populaire par le chinois MagicYang. Ce dernier fut d’ailleurs battu par un de ses compatriotes lors de ce même tournoi, Li « Sky » Xiaofeng (HU), qui entame alors une lente montée en puissance.
Durant l’année, dix des quinze tournois majeurs seront remportés par Moon (WEG I, WEG II, MBC Prime League, MBCGame WarCraft League, China-Korea Cybergames), ou Grubby (CPL, SEC, ESWC, BlizzCon, GGL), ne laissant que des miettes à Sweet, FreeDom, FarSeer, ToD et Sky.
Moon et Grubby, une rivalité historique
Drôle de miettes tout de même pour Sky qui remporte les WCG 2005 en fin d’année s’imposant sur la scène internationale comme l’autre joueur Humain avec ToD, Swain ayant pris sa retraite plus tôt dans l’année (Swain fut d’ailleurs le seul joueur Humain coréen à avoir remporté une compétition majeure, la MBC Prime League III). Le joueur chinois inscrit là pour l’une des premières fois de sa carrière, son nom dans la liste des joueurs qui feront la légende du jeu.